Le
pont invisible
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Le pont
invisible
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IA
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cette histoire.
Jean-Pierre
était assis sur son lit, les doigts glissant sur la
couverture
usée.
Dans quelques heures, il serait dans un avion pour
Haïti, un pays dont il n'avait que des souvenirs d'enfance.
Depuis
son arrivée au Canada avec son père, il avait
espéré un nouveau départ, un avenir
où ses
rêves de devenir ingénieur en robotique pourraient
se
réaliser.
Mais tout s'était écroulé il y a
deux semaines quand son père avait été
arrêté.
Leur demande d'asile avait été
refusée, et maintenant, Jean-Pierre était sur le
point
d'être expulsé.
Il jeta un coup d'œil à son
téléphone.
Le
dernier message de son père y était encore.
"N a
we, pitit. Fòk ou kenbe fò." (À plus
tard,
mon fils. Reste fort.)
Un message bref mais lourd de sens.
Comment
rester fort quand on vous arrache à tout ce que vous avez
tenté de bâtir?
La porte de l’appartement s’ouvrit brusquement,
rompant le
silence pesant de la pièce.
Mariam entra précipitamment,
son visage trahissant son inquiétude.
"Jean-Pierre! Mwen
byen? ".
Elle avait appris quelques mots de créole depuis qu'ils
étaient devenus amis, une tentative maladroite mais
touchante de
combler les fossés linguistiques qui les
séparaient.
Jean-Pierre releva les yeux, esquissant un sourire fatigué.
" Mwen byen, " mentit-il en baissant la tête.
Ses
affaires étaient éparpillées dans la
petite
chambre qu'il partageait avec deux autres garçons.
La valise,
posée à ses pieds, n'était
qu'à
moitié remplie.
Il avait du mal à décider quoi
emporter, sachant que tout serait différent en
Haïti, un
pays qu’il ne reconnaîtrait probablement plus.
Mariam se laissa tomber sur le lit à
côté de lui,
prenant un moment pour observer le chaos autour d'eux.
"Donc,
c’est vrai, tu pars ce soir? Ils n'ont rien pu faire pour
toi?"
Jean-Pierre hocha lentement la tête.
"Oui, je laisse tout
derrière moi."
Il aurait voulu lui dire que tout irait bien,
mais il n’y croyait plus lui-même.
Le poids de
l'incertitude lui comprimait la poitrine.
Que lui arriverait-il
à son retour? Il n'avait aucune idée.
Mariam se mordit la lèvre, visiblement
bouleversée.
"C’est tellement injuste. Après tout ce que tu as
fait
ici.
Tu étais l’un des meilleurs
élèves en
sciences, tu as tout donné, et maintenant."
Elle ne termina pas
sa phrase, le silence qui suivit parlant de lui-même.
Jean-Pierre haussa les épaules.
"Le système nous utilise.
Comment peut-on appeler ça la liberté si on vit
dans les
rêves des autres"
Mariam, elle-même fille d’immigrants, hocha la
tête.
Elle comprenait ce qu’il voulait dire, même si sa
situation
était différente.
Ses parents, d'origine libanaise,
avaient quitté Beyrouth pour le Canada quand elle
était
encore enfant.
Comme Jean-Pierre, elle portait le poids des attentes de
sa famille, mais dans son cas, c'était sous la forme
d’une
carrière toute tracée.
Ses parents voulaient
qu’elle devienne médecin, qu’elle
réussisse
comme ils disaient. Mais elle, elle voulait être
poète.
La
poésie la faisait vibrer, lui donnait une voix, mais
c'était une carrière que sa famille ne comprenait
pas.
"Mes parents veulent que je sois médecin, mais ce
n’est
pas ce que je veux," avoua Mariam, jouant avec une mèche de
ses
cheveux.
"Je veux écrire, mais eux, ils ne voient pas ça
comme une option sérieuse."
"Alors pourquoi tu ne fais pas ce que tu veux?" demanda Jean-Pierre,
l’air perplexe.
"C’est pas si simple.
Ils ont sacrifié tellement de choses
pour nous amener ici, pour nous offrir une vie meilleure.
Je me
sentirais égoïste si je ne suivais pas leur plan."
Jean-Pierre soupira.
"Rien n’est simple, Mariam. Moi, je dois
retourner dans un pays où je ne connais plus personne.
Ici,
j'avais l'impression de commencer à trouver ma place, mais
tout
est parti en fumée."
Elle lui lança un regard triste.
"Tu n’as pas à
porter ça tout seul. Ce n'est pas de ta faute.
Tu as fait ce que
tu pouvais."
Jean-Pierre secoua la tête.
"Tu ne comprends pas, Mariam.
Là-bas, ils me verront comme un échec.
Ici, je n'ai plus
rien."
Il se tut un instant, puis ajouta doucement: "Peut-être
que tu devrais suivre tes rêves pendant que tu le peux
encore.
On
ne sait jamais quand tout peut basculer."
Mariam le regarda, son cœur se serrant.
Elle avait toujours vu
Jean-Pierre comme quelqu'un de fort, de résilient.
Maintenant,
elle voyait la douleur et la peur qu'il cachait derrière ses
sourires fatigués.
"Tu sais, Jean-Pierre, parfois j’ai
l’impression qu’on est invisibles.
Pour le monde, on est
juste des chiffres, des noms sur des papiers. Mais on n'est pas
invisibles l'un pour l'autre."
Jean-Pierre lui sourit faiblement.
"Bon bagay," dit-til,
répétant une de ses expressions
créoles
préférées.
"Ça, c'est vrai."
Le silence s’installa à nouveau dans la petite
chambre.
Jean-Pierre se leva et attrapa sa valise, terminant rapidement de la
remplir avec ce qui lui restait à emporter.
L’heure du
départ approchait.
Chaque seconde qui passait le rapprochait du
moment où il devrait dire au revoir à tout ce
qu’il
avait connu ces dernières années.
"Tu reviendras, n’est-ce pas" demanda Mariam, la voix
tremblante.
Jean-Pierre la regarda, un mélange de tristesse et de
détermination dans les yeux.
"Je ne sais pas si je reviendrai,
Mariam.
Je ferai tout ce que je peux, mais tu sais comment est la vie."
Elle hocha la tête, les larmes aux yeux.
Elle voulait dire tant
de choses, mais les mots lui manquaient.
"Peut-être que la
liberté, c’est de choisir, malgré tout,
ce
qu’on fait de sa vie," murmura-t-elle finalement.
"Peut-être
que tu n’as pas encore tout perdu."
Il s'approcha d'elle et la prit dans ses bras.
"À plus tard, Mariam. Prends soin de toi"
"À plus tard," répondit-t-elle, sachant tous deux
que ce plus tard pourrait ne jamais arriver.
La porte se referma doucement derrière lui, mais un pont
invisible restait entre eux, un lien que ni la distance ni le temps ne
pourraient briser.